L’action en paiement d’une créance antérieure à l’ouverture de la procédure collective du débiteur introduite après est irrecevable. Si elle a été introduite avant, elle est suspendue ; elle peut alors être reprise, mais le débiteur ne peut pas être condamné à payer, même s’il bénéficie d’un plan de sauvegarde ou de redressement.
En refusant de désigner l’Urssaf contrôleur dans le cadre de la procédure collective d’un de ses débiteurs, alors qu’elle en a fait la demande, le juge-commissaire s’attribue un pouvoir d’appréciation qu’il n’a pas et commet un excès de pouvoir.
L’Urssaf déclare sa créance au passif d’une société mise en liquidation judiciaire et demande au juge-commissaire à être nommée contrôleur, ce que celui-ci refuse. Elle exerce un recours contre l’ordonnance du juge-commissaire, qui est confirmée par un jugement puis par un arrêt d’appel. L’Urssaf forme alors un pourvoi.
La Cour de cassation rappelle dans un premier temps que l’appel contre les jugements ou ordonnances relatifs à la nomination des contrôleurs est réservé au ministère public (C. com. art. L 661-6, I-1o) et que le pourvoi en cassation est impossible (art. L 661-7, 2o). Il n’est dérogé à cette règle, comme à toute autre règle interdisant ou différant un recours, qu’en cas d’excès de pouvoir.
Elle juge ensuite que le juge-commissaire et le tribunal ont bien commis un excès de pouvoir en refusant de désigner l’Urssaf contrôleur. En effet, les administrations financières, les organismes de sécurité sociale et les institutions visées à l’article L 626-6, al. 1 du Code de commerce doivent être désignés contrôleurs dès lors qu’ils en font la demande (C. com. art. L 621-10, al. 2).
Par suite, la Haute Juridiction censure la décision d’une cour d’appel ayant considéré qu’aucun excès de pouvoir n’avait été commis par le juge-commissaire sur la base des éléments suivants : aucune disposition impérative ne prescrit une désignation de plein droit comme contrôleur ; en refusant de désigner l’Urssaf aux motifs qu’une telle désignation, demandée trois ans après le début de la procédure alors que la vérification du passif était achevée, présentait un danger eu égard à l’instance en nullité de la période suspecte pendante à laquelle l’Urssaf était partie, le tribunal n’avait ni empiété sur les prérogatives du législateur, ni pris une décision qu’il n’avait pas légalement le pouvoir de prendre, ni refusé de statuer sur la demande qui lui était présentée.
1o Les contrôleurs assistent le mandataire judiciaire (ou le liquidateur, le cas échéant) dans ses fonctions et le juge-commissaire dans sa mission de surveillance de l’administration de l’entreprise (C. com. art. L 621-11). Certaines personnes morales sont d’office contrôleurs. C’est le cas de l’ordre professionnel ou de l’autorité compétente dont dépend le débiteur lorsqu’il exerce une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé (art. L 621-10, al. 4). Les autres contrôleurs sont des créanciers, dont certains peuvent prétendre de plein droit à cette qualité dès lors qu’ils en font la demande au juge-commissaire. Il s’agit des administrations financières, des organismes de sécurité sociale, des institutions gérant le régime d’assurance chômage et de l’association pour la gestion du régime de garantie des créances salariales (AGS) (art. L 621-10, al. 2). Toutes ces dispositions relatives à la procédure de sauvegarde sont applicables au redressement et à la liquidation judiciaires par renvoi des articles L 631-9 et L 641-1 du Code de commerce.
En l’espèce, en refusant de nommer l’Urssaf, qui relève pourtant de la catégorie des organismes de sécurité sociale, les juges du fond se sont attribué un pouvoir d’appréciation qu’ils n’avaient pas et ont commis un excès de pouvoir.
2o Cette affaire est également l’occasion pour la Haute Juridiction de rappeler les règles particulières de recevabilité de l’appel et du pourvoi en cassation concernant les décisions relatives à la nomination des contrôleurs. En vertu de ces règles, les recours exercés par l’Urssaf auraient dû être déclarés irrecevables. Ils ne l’ont pas été uniquement parce qu’un excès de pouvoir des juges a été caractérisé. Si le refus de nomination avait concerné un autre créancier qu’une administration financière, un organisme de sécurité sociale, une institution gérant le régime d’assurance chômage ou l’AGS, les recours auraient été irrecevables (en ce sens, Cass. com. 29-9-2015 no 14-15.619 F-PB : Bull. civ. IV no 136).
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Le jugement ouvrant une procédure collective à l’encontre d’une entreprise interdit aux créanciers de celle-ci d’agir notamment en paiement d’une créance née avant ce jugement ou interrompt les instances en cours ayant cet objet (C. com. art. L 622-21, I-1o pour la sauvegarde et applicable au redressement et à la liquidation par renvoi des art. L 631-14, al. 1 et L 641-3, al. 1).
La Cour de cassation vient d’appliquer ce texte dans deux arrêts, mettant en évidence la portée de celui-ci à l’égard tant du créancier poursuivant que du juge saisi d’une telle action.
Dans la première affaire (no 22-18.075), le client d’une entreprise met celle-ci en demeure d’achever les travaux qu’il lui a commandés et de lui payer une pénalité de retard. Après la mise en liquidation judiciaire de l’entreprise, le client lui réclame des dommages-intérêts en justice pour inexécution partielle du contrat. Le tribunal saisi se borne à fixer le montant de la créance du client, précisant que ce dernier pourra la faire valoir auprès du liquidateur judiciaire de l’entreprise et la recouvrer selon les modalités applicables dans une liquidation judiciaire.
La Cour de cassation censure cette décision. En effet, lorsqu’une demande en paiement n’a pas été formée à l’occasion de l’instance en cours avant l’ouverture de la procédure collective du débiteur, mais seulement après cette ouverture, le créancier ne peut faire constater le principe de sa créance et en faire fixer le montant autrement qu’en la déclarant et en se soumettant à la procédure de vérification du passif. Le tribunal saisi de la demande de dommages-intérêts aurait dû relever, au besoin d’office, l’irrecevabilité de cette demande fondée sur l’inexécution d’un contrat conclu avant l’ouverture de la liquidation judiciaire.
La solution est sans surprise.
S’ils veulent avoir une chance d’être payés dans le cadre de la procédure collective de leur débiteur, les créanciers soumis à l’arrêt des poursuites individuelles n’ont pas d’autre choix que de déclarer leurs créances à cette procédure dans le délai requis (C. com. art. L 622-24, al. 1), ces créances étant ensuite vérifiées puis, selon le cas, admises au passif en tout ou partie ou rejetées (art. L 624-1 s.).
En application du principe de l’arrêt des poursuites, qui est d’ordre public, le juge saisi après l’ouverture de la procédure collective d’une demande en paiement d’une créance antérieure est tenu, même si aucune des parties ne le lui demande, de déclarer une telle action irrecevable (notamment, Cass. com. 1-7-2020 no 19-11.658 F-D : RJDA 11/20 no 584 ; Cass. 3e civ. 24-6-2021 no 20-15.886 F-D : RJDA 12/21 no 785).
La solution est différente si l’action en paiement était en cours lors de l’ouverture de la procédure collective : l’action est simplement interrompue jusqu’à ce que le créancier ait déclaré sa créance et ait appelé à l’instance les organes de la procédure (selon le cas, mandataire et administrateur judiciaires ou liquidateur judiciaire) ; mais l’instance reprise tend seulement à la constatation de la créance et à la fixation de son montant (C. com. art. L 622-22, L 631-14, al. 1 et L 641-3, al. 1) et non à la condamnation du débiteur à payer la créance (notamment, Cass. com. 7-9-2022 no 20-20.404 F-D : RJDA 1/23 no 42).
Dans l’affaire commentée, en fixant le montant de la créance du client, le tribunal avait statué comme si l’action en paiement était en cours à l’ouverture de la procédure collective, alors que, engagée par le client après l’ouverture de cette procédure, elle tombait sous le coup de l’arrêt des poursuites.
Dans la seconde espèce (no 21-14.513), à l’occasion de l’entrée à son capital d’un nouvel actionnaire, une société s’engage à lui racheter, à tout moment, les actions souscrites dans le cadre d’une augmentation de capital à leur valeur de souscription. Quelques mois après avoir souscrit des actions, le nouvel actionnaire demande en vain à la société leur rachat, puis il en réclame le remboursement en justice. Après la mise sous sauvegarde de la société et l’arrêté d’un plan de sauvegarde au profit de celle-ci, une cour d’appel condamne la société à rembourser l’actionnaire sortant.
A tort, juge la Cour suprême. En effet, la créance de l’actionnaire était née avant le jugement ouvrant la sauvegarde et la décision arrêtant le plan de sauvegarde n’avait pas mis fin à la suspension des poursuites individuelles contre la société. La cour d’appel aurait donc dû se borner à fixer le montant de la créance sans pouvoir condamner la société à la payer.
Le principe selon lequel l’arrêté par le tribunal d’un plan de sauvegarde ou de redressement au profit du débiteur ne prive pas ce dernier du bénéfice de la suspension des poursuites individuelles n’est pas nouveau (Cass. com. 15-10-2002 no 99-12.767 F-D ; Cass. com. 7-9-2022 no 20-20.404 F-D : RJDA 1/23 no 42).
Dans la présente affaire, la reprise de l’instance en cours après l’ouverture de la sauvegarde était, semble-t-il, régulière (l’arrêt précise seulement que le mandataire et l’administrateur judiciaires avaient été appelés en la cause), mais la cour d’appel n’avait pas le pouvoir de condamner le débiteur à payer.