Les aides du gouvernement n’ont offert qu’un sursis temporaire aux entreprises. Les annonces de plans sociaux se multiplient et le pire semble encore à venir. Les experts s’attendent à une explosion des faillites et des destructions d’emplois dans les prochains mois.
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Aucune entreprisFaillites, plans sociaux… La crise du Covid-19, une « bombe à retardement » pour les entreprises en difficultée ne sera livrée au risque de faillite. » C’était la promesse d’Emmanuel Macron, le 16 mars, à la veille du premier jour du confinement. Sept mois plus tard, les chiffres semblent donner raison au président. Ils seraient même meilleurs que promis. Seules 13 600 procédures de liquidation judiciaire ont été ouvertes depuis le printemps, contre 19 400 sur la même période en 2019. Soit une baisse de 30%.
Pour obtenir ces chiffres, nous avons passé au crible les publications du Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (Bodacc). A chaque fois qu’une entreprise en difficulté est convoquée devant le tribunal de commerce, l’information y est aussitôt publiée. Nous avons épluché 200 bulletins parus entre le 1er janvier et le 12 octobre 2020, et 500 bulletins en 2019 et en 2018. Et le nombre d’ouvertures de procédures pour un redressement ou une liquidation judiciaire est en chute libre cette année.
Débuté au moment du confinement, ce mouvement à la baisse n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis. Il concerne tous les secteurs d’activité, même les plus touchés par la crise, comme la restauration, le transport ou la construction.
Dans le détail, la baisse se constate jusque chez les traiteurs, pourtant à bout de souffle avec l’annulation de nombreux événements et l’interdiction des mariages. Quant aux secteurs de l’aéronautique et du transport aérien, on n’y observe pas de baisse, mais pas de hausse non plus. C’est comme si 2020, jusque-là, était une année comme les autres.
En réalité, cette baisse du nombre de faillites est trompeuse. « Le calme que nous vivons actuellement est un faux calme », explique Christine Gailhbaud, avocate et enseignante à l’Université Côte d’Azur, spécialisée dans le droit social des procédures collectives. Ce phénomène a deux raisons principales. La première est purement administrative. Dans la foulée du confinement, l’Etat a pourvu les entreprises d’une forme d’immunité juridique en gelant les situations de cessation de paiement. Ce mécanisme a rendu impossible la convocation des patrons en banqueroute devant un tribunal de commerce.
L’autre explication est à rechercher du côté des aides du gouvernement, comme les prêts bancaires garantis par l’Etat (PGE), le chômage partiel ou les exonérations de charges. Mis bout à bout, ces dispositifs ont placé l’économie dans une sorte de coma artificiel. Au point d’épargner même les entreprises mal en point en dépit de la crise liée à l’épidémie de Covid-19. « Il y a eu un effet d’aubaine. Les aides d’Etat ont aussi protégé les entreprises qui n’auraient pas dû continuer à exister », constate l’avocat Jean-Charles Gancia, spécialisé dans les restructurations. Les annonces de Bruno Le Maire, jeudi 15 octobre, pourraient faire perdurer le phénomène, avec un accès aux PGE prolongé jusqu’à fin juin 2021, un renforcement du fonds de solidarité et une exonération des cotisations pour les TPE et PME jusqu’à la fin du couvre-feu.
Une deuxième vague de dépôts de bilan ?
Mais qu’adviendra-t-il quand l’économie sortira de ce coma artificiel ? Les experts craignent une explosion. « L’élastique est en train de se tendre. Le flux de sortie des entreprises est retenu. L’hypothèse la plus pessimiste, c’est que nous sommes dans une phase de retenues, qui va se relâcher brutalement à un moment donné », analyse Sarah Guillou, spécialiste de la compétitivité des entreprises au sein de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Dans une note publiée au mois de juin, l’OFCE estimait que la crise du Covid-19 allait conduire à une hausse de presque 80% des défaillances d’entreprises d’ici le 1er janvier 2021. L’économiste Lionel Nesta, l’un des auteurs de cette note, estime que même si les faillites ont été retardées, elles sont inéluctables.
« Il va y avoir une purge, une concentration des faillites. »
Lionel Nesta, à franceinfo
Le couperet pourrait tomber dans les prochaines semaines. En effet, l’immunité juridique donnée aux entreprises, au début du confinement, est arrivée à son terme le 7 octobre et il n’est pas prévu de la réactiver, fait savoir le ministère de la Justice à franceinfo. Plus rien n’empêche les sociétés en situation de cessation de paiement d’être convoquées devant les juges. Pour éviter un tsunami de dépôts de bilan, le gouvernement veut favoriser les procédures de conciliation. C’est le message qu’a martelé le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, lors d’un déplacement au tribunal de commerce d’Orléans, le 10 septembre. Mais ce souhait du garde des Sceaux ne semble pas être suivi d’effets. « On ne constate pas d’engouement particulier pour les procédures préventives », assure Sophie Jonval, la présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce.
En attendant, les organisations patronales sont aux abois. A commencer par le secteur de l’hôtellerie-restauration où « 30 à 35% de nos entreprises seront rayées de la carte d’ici la fin de l’année », affirme Thierry Grégoire, représentant de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih).
« C’est une bombe nucléaire à retardement. »
Thierry Grégoireà franceinfo
La vague de faillites qui s’annonce est d’autant plus inquiétante que beaucoup d’emplois détruits ne pourront pas être recréés. « Notre économie fonctionne sur le principe de la destruction créatrice : les entreprises qui disparaissent sont remplacées par des nouvelles, explique Lionel Nesta. Sauf que personne n’a envie de se lancer dans la création d’entreprise aujourd’hui. »
Les plans sociaux déjà largement enclenchés
En attendant la vague des faillites, le ciel a déjà commencé à s’assombrir pour les salariés. Les premiers plans de sauvegarde de l’emploi ont été annoncés quelques temps après le déconfinement et au début de l’été : le voyagiste TUI France, la filiale de Total Hutchinson, Altice Media… Huit mois après le début de la crise, de nombreuses entreprises ont entamé des procédures, qui mettront plusieurs mois à se traduire en suppressions effectives de postes. D’après un suivi réalisé par la CGT Info-com, la quasi-totalité du pays est touchée, mais plus particulièrement l’Ile-de-France et la région de Toulouse (et son secteur aéronautique).
Ces procédures ne sont pas visibles dans les données des tribunaux de commerce, mais bien recensées par le ministère du Travail. Depuis la fin avril, son service de statistiques, la Dares, publie régulièrement un bilan des suppressions d’emploi annoncées. Alors que le nombre de plans sociaux avait tendance à baisser ces dernières années, 2020 est déjà une année noire. Sur les deuxième et troisième trimestres (d’avril à septembre), la Dares dénombre ainsi 411 plans de sauvegarde de l’emploi contre 230 en 2019 sur la même période.
Ces annonces de procédures devraient se traduire, au fil des négociations entre directions et syndicats, en nombres de postes voués à disparaître. Du 1er mars au 27 septembre 2020, le nombre de suppressions de postes envisagées lors de PSE est de 65 001. Soit plus de trois fois plus que sur la même période en 2019.
A ces PSE, qui touchent les entreprises de plus de 50 salariés, il faut ajouter les milliers de licenciements collectifs pour les sociétés de plus petite taille. De mars à septembre, la Dares comptait, en plus des 454 PSE, pas moins de 3 476 entreprises concernées par de tels licenciements. Dès juin 2020, l’Unédic chiffrait ses estimations à 900 000 suppressions d’emplois et 630 000 chômeurs supplémentaires.
« Le tableau est bien sombre, note Marylise Léon, secrétaire générale adjointe de la CFDT. On mesurera la hauteur de la vague plutôt à la fin de l’année. » Si l’activité ne reprend que faiblement et si les entrepreneurs n’ont pas plus de visibilité, les syndicats craignent une accélération des annonces de plans sociaux, des négociations de ruptures conventionnelles collectives (RCC), mais également des conséquences économiques indirectes. « L’impact économique va être répercuté en interne dans les grands groupes, mais aussi sur les territoires, sur leur attractivité économique et touristique », explique Fabrice Michaud, secrétaire général de la CGT Transports, prenant l’exemple de la restructuration lancée dans le secteur aérien, qui devrait aboutir à la fermeture de certaines lignes.
Les syndicats, dont la CGT, dénoncent aussi l’absence de contreparties au versement des aides de l’Etat aux grandes entreprises, notamment sur le maintien de l’emploi, et le manque de dialogue social. « On sait que des entreprises sont sous tension, mais certaines se sont servies de la crise liée au Covid-19 comme prétexte pour lancer des réorganisations et licencier », estime Amar Lagha, secrétaire général de la CGT Commerce, une branche très touchée. Lionel Nesta, économiste à l’Université Côte d’Azur, tempère. Selon lui, les aides accordées aux grands groupes sont aussi destinées à empêcher un effet domino, qui emporterait des filières entières, en cas de faillite. « Au-delà des interrogations sur la pertinence d’aider les grandes entreprises, se cache la crainte du gouvernement de l’effet de contagion ». L’hypothèse d’échapper à un crash de l’économie ne semble pourtant être écartée par aucun des acteurs.